Chronique d’écologie intégrale du samedi 9 Décembre 2023, mémoire obligatoire de Saint Jean de la Croix, prêtre, docteur de l’Église
D’origine sociale très modeste, saint Jean de la Croix est né en 1542 à Fontiveros en Vieille Castille et mort le 14 décembre 1591 à Ubeda. Jean de Yepes, de son nom de naissance, entre au Carmel de sainte Anne à l’âge de vingt-et-un ans à Medina del Campo. Il est ordonné prêtre en 1567, mais il est déçu par la vie religieuse. Il a même l’intention de devenir moine chartreux. C’est la grande sainte Thérèse d’Avila qui le convainc d’entreprendre la réforme de l’ordre des Carmes en disant de lui : « il est de petite taille mais je le crois très grand aux yeux de Dieu ». D’ailleurs ses frères n’ont pas trop apprécié, c’est pour ça qu’il a été mis en prison ( !) en 1577. Il s’évade en 1580 pour apprendre que les Carmes déchaussés ont récemment été érigés en province autonome. Saint Jean de la Croix a eu deux grâces dans sa vie, celle de l’expérience du face à face avec Dieu, dans l’expérience mystique et celle de pouvoir l’exprimer avec des mots humains, sans trop déraper… C’est justement dans son temps d’emprisonnement qu’il put mettre en mots ses expériences mystiques à travers la poésie et les quatre grands traités qui ont fait sa réputation. « La persécution ne fit qu’aider son union avec Dieu sur les sommets de la vie mystique. Ses écrits en ont gardé la brûlure » commente la Liturgie des heures (Vol. 1) à son sujet. L’orthodoxie de ses écrits lui ont valu de se faire proclamer docteur de l’Eglise par le pape Pie xi en 1926. Ses œuvres principales furent donc : La Montée du mont Carmel, La Nuit obscure, Le Cantique spirituel et la Vive Flamme. Son petit surnom est en conséquence : « le Docteur mystique. » Qu’est-ce qu’un mystique ? c’est une personne qui s’est laissée saisir par Dieu, dans son amour inifini, afin d’être mis en présence du Mystère et d’en avoir une connaissance intime. En d’autres termes, c’est se prendre Dieu en pleine face ce qui laisse des traces, voire des séquelles. C’est pourquoi saint Jean de la Croix témoigne du fait qu’il faut s’y préparer. Cela n’est pas donné à tout le monde d’être mystique, et même quand ça arrive, il est important de préparer le terrain par une pratique assidue de la vie spirituelle et intellectuelle chrétienne. Il insiste même sur l’importance de l’expérience de l’épreuve de la souffrance comme prédisposition à la vie mystique. Voici ce qu’il en dit dans le Cantique Spirituel(1584) : « Tous veulent entrer dans les profondeurs de la sagesse, des richesses et des délices de Dieu, mais peu désirent entrer dans la profondeur des souffrances et des douleurs endurées par le Fils de Dieu : on dirait que beaucoup voudraient être déjà parvenus au terme sans prendre le chemin et le moyen qui y conduit[1]. » Même si saint Jean de la Croix ne s’est pas intéressé aux problématiques écologiques – qui n’existaient d’ailleurs pas en tant que telles à son époque – en lisant ces lignes, je suis frappé par une convergence entre cette expérience et celle que nous faisons dans le cadre de la crise écologique aujourd’hui. La clameur de la terre et la clameur des pauvres sont l’expression d’une souffrance liée à la persécution de la planète par la créature humaine. Dans le cadre de l’écologie intégrale nous sommes invités à accueillir cette souffrance, la faire notre pour la transformer en énergie nécessaire à nourrir un engagement pour la sauvegarde et le soin de la maison commune. Cette souffrance peut être aussi la nôtre si nous vivons un état d’écoanxiété face au côté anxiogène de la crise écologique. Il y a en effet un enjeu de passer par la souffrance de la terre et des pauvres pour pouvoir les dépasser et entrer pleinement dans une espérance solide. De même la clameur de la terre n’est pas en soi l’expression d’une souffrance uniquement. Dans le sens ou la clameur initiale de la terre est celle de la louange qu’elle adresse à Dieu : « toutes les œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur ». L’enjeu de la sauvegarde de la maison commune est alors l’atténuation de la clameur de souffrance pour optimiser la clameur de louange de la création. Or comme chez saint Jean de la Croix nous voudrions parfois passer directement à la louange et à la joie de la création sans assumer la clameur de détresse qu’elle profère dans le même moment. C’est tout un courant contemporain de spiritualité de l’écologie qui témoigne du fait que l’expérience de la rencontre de Dieu dans la création est possible, et même commune ! Un personnage comme Jean Bastaire est bien le témoin d’une vie mystique au contact des créatures. L’ouverture à une telle expérience spirituelle peut nous aider à mieux intégrer les différents aspects de la clameur de la terre et des pauvres. Dans cet état d’esprit, notons enfin que saint Jean de la Croix est une des rares figures de sainteté convoquées dans l’encyclique Laudato si’ par le pape François, toujours en citant abondamment le Cantique spirituel, je cite au paragraphe 224 :
Saint Jean de la Croix enseignait que ce qu’il y a de bon dans les choses et dans les expériences du monde « se rencontre[nt] en Dieu éminemment et à l’infini, ou pour mieux dire, chacune de ces excellences est Dieu même, comme toutes ces excellences réunies sont Dieu même ». Non parce que les choses limitées du monde seraient réellement divines, mais parce que le mystique fait l’expérience de la connexion intime qui existe entre Dieu et tous les êtres, et ainsi « il sent que Dieu est toutes les choses ». S’il admire la grandeur d’une montagne, il ne peut pas la séparer de Dieu, et il perçoit que cette admiration intérieure qu’il vit doit reposer dans le Seigneur.
[1] Saint Jean de la Croix, Le Cantique Spirituel, 1584.
Un Commentaire