Chronique d’écologie intégrale du samedi 18 Novembre 2023, 33ème dimanche du TO, Année A
Les textes de ce dimanche plaideraient-il en faveur du système capitaliste selon une vision bourgeoise du travail ? Le besogneux est exalté par la première lecture et par l’évangile, il s’agit de générer du profit à partir d’un travail acharné et d’investissement bien placés… Un jour un dirigeant d’une grande entreprise industrielle française est venu donner un témoignage dans une université catholique. Il se présentait comme chrétien. Un étudiant lui demande innocemment ce qui dans les Ecritures justifierait et fonderait le système capitaliste. Le monsieur a répondu sans rougir en citant l’évangile des talents de ce dimanche en Mt 25. Pour certaines églises protestantes évangéliques, ce texte est aussi une référence importante pour justifier ce qu’on appelle notamment aux USA « l’évangile de la prospérité » : celui qui est béni par Dieu est celui qui réussi dans les affaires. La pauvreté est signe de malédiction de la part de Dieu. Je crains que sur ces bases, l’écologie intégrale ne progresse pas beaucoup. Le problème est que nous lisons aujourd’hui ces textes, marqués que nous sommes par le paradigme technocratique, alors qu’ils ont été écrits à une période prémoderne où le rapport au travail et à l’argent était très différent. Quoique, en ce qui concerne l’argent, Jésus dit bien que c’est une idole en concurrence avec Dieu, ce qui n’a pas beaucoup changé de nos jours. Un indice, un contraste me marque pourtant à la lecture de ces pages d’Ecriture sainte. Quand, dans l’évangile de Matthieu il est question d’investissements et de banque, ce sont des hommes que Jésus met en scène, c’est-à-dire quand ce n’est pas vraiment le sujet qui travaille mais l’argent lui-même. Quand au contraire, il s’agit de valoriser le travail des mains à l’échelle domestique de l’économie familiale, c’est une figure féminine qui est convoquée : la femme parfaite du livre des Proverbes. C’est comme si, la parole de Dieu nous disait que le modèle du travail qui humanise et qui fait vivre la famille est à trouver dans ce qui est à taille humaine, dont le résultat, même s’il prend du temps, se reçoit assez immédiatement dans un surcroît de vie comme en témoigne le Ps 127 : « Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! À toi, le bonheur ! Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils, autour de la table, comme des plants d’olivier. » Il ne s’agit pas de défendre un paradigme patriarchal qui asservit la femme aux tâches ménagères, surtout pas ! Ces versets que je viens de lire sont la conséquence de deux choses bien complémentaires : la crainte du Seigneur et le fait de gagner sa vie par le « travail de ses mains. » comme la femme parfaite de la première lecture. C’est certainement ces clés de lectures qui peuvent nous aider à comprendre le sens de la parabole des talents qu’il ne convient donc pas d’interpréter littéralement dans notre contexte de lutte contre le paradigme technocratique. Le vrai talent, celui qui humanise, c’est celui qui permet de faire grandir la vie et de nous humaniser dans toutes les dimensions de notre personne, et donc pas uniquement du point de vue du profit financier. Si le Jésuite Gaël Giraud a renoncé à devenir trader alors que sa boîte le lui avait demandé, c’est bien parce qu’il avait senti la dimension déshumanisante d’une telle activité. Au contraire je pense que le lieu de mise en application de l’ensemble des lectures de ce dimanche est à trouver dans l’économie monastique. Voici en effet ce que préconise saint Benoît dans sa règle : « C’est alors qu’ils seront vraiment moines, quand ils vivent du travail de leurs mains, comme nos Pères et les Apôtres. » (RB 48, 8). Cela ne peut être plus clair. Plus loin on trouve également : « les Frères doivent donner de certains temps au travail des mains, et d’autres à la lecture des choses saintes. » afin de se prévenir contre les méfaits de l’oisiveté. Cela veut donc dire que le travail manuel a un effet salutaire sur la bonne santé physique et morale de la personne. A une époque où on n’avait pas le choix et où le travail manuel pouvait être aliénant, selon la critique de Marx, peut-être pouvait-on recevoir ces recommandations avec une certaine distance… mais aujourd’hui, à une époque ou le travail est de plus en plus dématérialisé, automatisé, intellectualisé, numérisé… la dimension salutaire de ces rappels est à mon sens capital si l’on veut bien ajuster ses relations fondamentales dans la maison commune, en particulier la relation à soi-même. Et la philosophe Simone Weil ne dirait pas autre chose. Un travail manuel vraiment humanisant, cela mobilise l’ensemble de nos talents, et nous fait agir à l’échelle de la personne humaine. Fabriquer un objet, que ce soit une bourse en cuir ou une maison, ou encore faire pousser des plantes dans un champ requiert un ensemble de compétences, qui vont de la pure technique à la prospective, mais aussi à la dimension artistique, culturelle et même spirituelle de l’action de produire quelque chose d’utile au bien commun. Enfin, cette approche du travail dans son humilité, nous aide à vivre l’injonction de saint Paul dans la deuxième lecture : « Mais vous, frères, comme vous n’êtes pas dans les ténèbres, soyons vigilants et restons sobres » pour préparer la venue du Christ dans la gloire.
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