Chronique d’écologie intégrale du samedi 29 Mars 2024, Lundi dans l’octave de Pâques
Le Lundi de Pâques est un jour particulier dans le calendrier liturgique. Comme le lundi de Pentecôte, c’est le jour des prolongations. On estime que la grâce offerte lors de la solennité de la veille est trop importante et fournie en si grande quantité qu’une journée ne suffit pas à la recevoir et qu’il faut bien un jour de plus pour s’en remettre. Ce sont donc des jours de repos. Pour Pâques c’est en fait une semaine complète de festivité qui doit être observée, d’où le fait que ce lundi de Pâques est le premier jour de ce qu’on appelle l’octave de Pâques. On retrouve une telle disposition à Noël. Avant le concile de Vatican II l’Eglise envisageait même des octaves après plusieurs autres solennités, comme la Pentecôte, dont le lundi est une relique, l’Ascension, le Sacré Cœur de Jésus et d’autres encore. C’est une pratique qui remonte aux célébrations de certaines fêtes juives réalisée sur une période de sept jours comme pour la fête de Souccot (fêtes des Tentes ou des Tabernacles, cf. Lv 23-26), qui célèbre l’aide que les Hébreux ont reçue de Dieu pendant l’Exode. Pâques est alors comprise comme un long dimanche de sept jours. C’est l’empereur Constantin qui imposa au ive siècle cette pratique à l’Eglise catholique. Cela me permet de réfléchir un instant avec vous sur le sens de ces temps de l’année où il était obligatoire de ne pas travailler pour prendre le temps de célébrer les mystères du Seigneur. A la fin du Moyen Age, on pouvait compter en France cinquante trois fêtes religieuses donnant l’obligation du repos. Cinquante-trois ! c’est-à-dire sans compter les dimanches qui étaient jours chômés par défaut, dirai-je. Ça fait tout de même sept semaines et demi par an en jours ouvrables. Cela signifie deux choses : le travail et le bénéfice économique ne sont pas la priorité d’une société ancrée dans le Christianisme. Le travail et le bénéfice financier ne sont pas des idoles, au moins dans les pratiques sociales. La deuxième chose est corrélée : on prend le temps de mettre Dieu à la première place. Voici une sorte de mise en pratique avant l’heure de ce principe de l’écologie intégrale : « le temps est supérieur à l’espace ». C’est se donner du temps pour entrer dans celui de Dieu, celui de l’éternité et de la gratuité de la joie qui célèbre les événements de l’histoire du Salut. C’est affirmer, contrairement à l’adage commun, que le temps ce n’est pas de l’argent. Si le travail n’est pas une idole, on vise alors à replacer sa dépendance en Dieu, notre origine ultime par création. C’est encore retrouver le sens du repos récréatif, c’est-à-dire nécessaire pour refaire nos forces en vue du travail dans le souci du respect des rythmes humains fondamentaux. Je ne suis pas en train de faire l’apologie d’une société de faignants improductifs parce que quand même il ne faudrait pas perdre en compétitivité face aux pressions économiques internationales… Justement, c’est pour cette même raison que l’Eglise de France apporta des réformes importantes à la Renaissance jusqu’à la Révolution pour faire passer à vingt six fêtes chômées et non plus cinquante-trois, afin d’appuyer l’activité économique de la société moderne émergente dans la naissance du paradigme technocratique. En 1802 au moment du concordat napoléonien on ne compte plus que quatre fêtes religieuses chômées en dehors de celles qui tombent un dimanche : Noël, Toussaint, Assomption, Ascension. Mais avec l’adjonction des lundis de Pâques et de Pentecôte en 1886 et des cinq fêtes civiles, on remonte à onze pour aujourd’hui. Pour résumer, je dirai que l’enjeu de la multiplication des jours de fête chômées est bien de mettre la priorité sur la dépendance à Dieu dans la reconnaissance de nos rythmes naturels. L’enjeu de leurs suppressions modernes, c’est la rentabilité du temps dans un contexte de croissance économique qui place toutes ses valeurs dans le pouvoir d’achat. Mais sur quoi se focalise les lectures de ce jour ? Sur l’annonce de la Bonne Nouvelle. La première lecture nous renvoie directement à la Pentecôte dans le Livre des actes des apôtres, dans lequel on voit les douze annoncer le kérygme : « Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies. Mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir. » (Ac 2, 23-24) Et dans l’évangile de S. Matthieu, on est encore dimanche et Jésus dit aux femmes qui viennent pour l’embaumer : « Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. » (Mt 28, 10). Les disciples sont pris de ce que Jean Bastaire appelle l’insurrection pascale. Saisis par la grâce de la Résurrection, ils ne peuvent rester tranquillement chez eux mais doivent impérativement partager autour d’eux ce qu’ils ont reçu. Le mot « insurrection » montre bien que ce qui est reçu ne rentre pas dans les cadres normaux de la société mais les fait se rompre pour l’instauration du Royaume de Dieu. Par exemple dans le cadre d’un système qui nous incite à rentabiliser le temps au nom du sacro-saint pouvoir d’achat… Bon repos à tous et à toutes.
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