La clameur des agriculteurs
Chronique d’écologie intégrale mensuelle par Fabien REVOL
Fevrier 2024
DK : Bonjour Fabien Revol, aujourd’hui l’actualité vous rejoint dans vos tripes et dans vos racines rurales, vous avez une clameur à faire entendre ?
FR : Oui, aujourd’hui je suis traversé par la clameur de la terre et la clameur des pauvres.
DK : Alors, laissez-là monter…
FR : Aujourd’hui, j’ai mal à mes racines agricoles, à ma terre, et à mes ancêtres. Les manifestations des agriculteurs et certaines de leurs revendications sont pour moi le signal très fort que les paysans, sont les victimes d’un système qui ne les aime pas, victimes d’un système moderne de production-consommation qui les méprise car ils représentent tout ce que le paradigme technocratique déteste, la dépendance et l’harmonie avec la nature.
Aujourd’hui je pense à mon papa, Alain, à mon grand-père, Flavien, à mon arrière-grand-père, Urbain, à mon arrière-arrière-grand-père, Flavien et à leurs épouses qui les ont soutenus dans leur travail de la terre du Chirial et de Cotonnay dans mon village d’Epinouze, pour faire vivre leur famille. Ils ont cultivé la terre autant qu’ils ont pu en suivant le mouvement de la mécanisation de l’agriculture, à la veille de la première guerre mondiale, puis celui de la Révolution verte d’après la seconde pour industrialiser l’agriculture. Le système a fait d’eux des producteurs de masse et des exploitants, usant du paradigme technocratique pour leur faire percevoir la terre non plus comme une partenaire mais comme un outil de production à rentabiliser. Sous prétexte de nourrir la population mondiale de plus en plus coupée de ses sources terriennes on leur a imposé des contraintes de productivité et de standardisation de la production pour mieux exploiter, c’est-à-dire tirer de l’argent de la terre, au paradoxale prix de son appauvrissement et de sa destruction. Et voilà qu’ils réclament les moyens de pouvoir encore plus le faire, bien que leur légitime revendication principale soit de pouvoir vivre de leur activité sans dépendre des politiques nationales et internationales pour leur garantir un revenu décent. Sur ce point ils ont tellement raison. Mais si d’exploitants, ils devenaient ce que la Bible enseigne sur leur vocation : les premiers gardiens de la création ! En Gn 2, 15 nous lisons que Dieu prit Adam et le mit dans le Jardin d’Eden – le jardin de la création – pour le cultiver et le garder. « Cultiver », au sens étymologique du verbe hébreux « heved », cela signifie : « servir ». Servir et garder la terre c’est en prendre un soin tel qu’il implique la confiance qu’elle prendra elle-même soin de ses gardiens en retour, dans l’abondance de la bénédiction donnée par Dieu en Gn 1 et dans le respect de l’alliance conclue par Dieu avec la terre en Gn 9, lors de la sortie de l’arche de Noé, dans la perspective de son sabbat, de son jubilée. Servir la création, c’est, toujours selon l’usage de ce verbe dans la Bible, accomplir un service religieux, liturgique et spirituel du prêtre qui offre dans le temple la création tout entière à Dieu, ainsi que le travail de l’homme. Le paysan est par définition ce prêtre qui officie dans le temple de la création, le lieutenant de Dieu dans la création, car c’est en lui que s’exprime par excellence la vocation de la créature humaine à l’image de Dieu, dans un esprit de fraternité cosmique, avec toutes les créatures. Il devrait en être fier. Il devrait être tenu dans le plus grand honneur par une société consciente de la finalité de ses relations fraternelles avec les créatures en vue d’une sublime communion, comme l’enseigne le pape François dans Laudato si’. Une société qui pousse ses paysans au désespoir et au suicide tout en leur donnant les moyens systémiques de ce suicide par l’illusion et le mensonge de la prospérité productiviste est une société de mort et de mépris de Dieu et de la création.
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