Chronique d’écologie intégrale du samedi 23 Mars 2024, Jeudi Saint en mémoire de la cène du Seigneur
Pour le Jeudi Saint, nous allons faire mémoire de la cène du Seigneur. C’est à la fois un repas entre amis le banquet des noces de l’agneau, et une liturgie sacrificielle. Elle s’inscrit dans la continuité et la tradition du sacrifice du temple de Jérusalem en ce qui concerne l’ancienne alliance. Elle s’inscrit dans la nouveauté d’une alliance nouvelle et éternelle fondée dans l’expérience de la mort et de la résurrection de Jésus. C’est pourquoi la liturgie met en écho le texte du sacrifice de la pâque des Hébreux quittant l’Egypte et l’institution de l’eucharistie par saint Paul. Le texte de l’évangile de Jean place le sens de ce sacrifice eucharistique dans la perspective de la mise en œuvre de l’Amour. Dans le passage de l’Ancienne alliance à la Nouvelle, il y a un changement de régime qui est opéré : celui du sacrifice animal sanglant au sacrifice végétal non sanglant de l’eucharistie. L’eucharistie, en tant que sacrement, a recours au pain et au vin pour qu’ils servent d’offrande. Le sacrifice n’est pas celui d’un animal mais du Christ lui-même, sur la croix, réalisé une fois pour toute. Ce sacrifice est actualisé sans violence, de manière non sanglante, dans l’offrande du pain et du vin qui deviennent ainsi le corps et le sang du Seigneur ressuscité. On peut dire que ce sacrifice de la nouvelle alliance resitue la création et les créatures dans leur perspective originale. Il n’était pas prévu de violence, ni de mort par écoulement du sang dans le projet créateur. Le régime alimentaire des créatures devait être végétarien car en Gn 1 nous apprenons qu’aux animaux est donnée toute herbe verte portant sa semence selon son espèce ; et aux hommes tous les fruits des arbres portant leur semence selon leur espèce. Or les sacrifices du culte hébreux incluent presque tous des offrandes animales qui passent par leur mise à mort et leur consommation par le feu et la manducation. On est en droit de s’interroger sur le sens de ce glissement dans nos relations avec nos frères et sœurs les animaux. La Tradition nous indique que si l’homme et les bêtes en sont venus au régime carnivore c’est à cause des conséquences du péché qui a introduit la violence et la mort parmi les vivants. Au moment de la sortie de l’arche de Noé, Dieu reprend son œuvre de la création et la réinstaure selon des termes similaires à ceux de Gn 1. Mais il autorise et permet une exception, comme une fâcheuse tolérance : il est permis de manger d’autres animaux à cause de la violence qui habite le cœur de l’homme. Mais dans cette affaire hautement encadrée par la ritualité religieuse et liturgique d’Israël, il est obligatoire de restituer la vie de l’animal à Dieu, ce qui est manifesté par le sang. Le sang dans la Bible nous rappelle que la vie est à Dieu. Prendre la vie à un animal a alors un coût et une contrepartie : faire l’effort de rendre le sang à Dieu, car dans le sang coule la vie que seul Dieu donne. On peut dire qu’avec l’eucharistie, sacrement de l’alliance nouvelle et je rajoute de la création nouvelle et transfigurée, la situation est corrigée par l’action de Jésus qui par sa croix, apporte la « réconciliation pour tous les êtres, nous dit saint Paul aux Colossiens, ceux du ciel et ceux de la terre ». Les créatures sont ainsi réconciliées. Cela se voit et se vit dans l’eucharistie par le fait que faire couler le sang est désormais exclu du rite nouveau qui se vit dans le Christianisme. Le sang du Christ a été versé une fois pour toutes, il n’est plus question de tuer un animal pour célébrer le culte. L’offrande de produits végétaux issus de la terre et du travail des hommes devient le signe de la réconciliation entre les créatures. Or le sacrifice d’action de grâce est l’offrande de l’univers tout entier dans l’acte eucharistique. C’est la création tout entière qui est concernée par l’action divinisatrice de l’Eucharistie. Le pain et le vin sont les prémisses de la transfiguration de tous les éléments de la création en Christ. Teilhard de Chardin parlait d’un processus d’amorisation de la création. La création est transformée par l’amour de Dieu dans le corps du Christ. Cela nous amène à l’évangile de cette fête du Jeudi saint. Le vrai sacrifice nous enseigne Jésus, est celui de l’amour : c’est un don : « Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » » ; ce que dit le verset du trait. Jésus aime jusqu’au bout ses disciples, il leur lave les pieds. Et juste après, Il leur fait une catéchèse mystagogique : il fait vivre un rite et il l’explique ensuite : « Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. » Nous devons imiter Jésus le maître et Seigneur. Or par création nous avons été institués maître et Seigneur de la création. Si nous n’avions pas bien compris comment faire, Jésus nous montre la voie : Il s’agit d’aimer la création jusqu’au bout et se mettre dans les dispositions du lavement des pieds par rapport aux créatures. Le service de la création prend alors une dimension eucharistique, car il s’agit d’offrir le sacrifice de l’amour en prenant soin de la maison commune. Je termine avec les mots du pape François dans Laudato Si’ sur ce point : « Dans l’Eucharistie la plénitude est déjà réalisée ; c’est le centre vital de l’univers, le foyer débordant d’amour et de vie inépuisables. Uni au Fils incarné, présent dans l’Eucharistie, tout le cosmos rend grâce à Dieu. En effet, l’Eucharistie est en soi un acte d’amour cosmique : « Oui, cosmique ! Car, même lorsqu’elle est célébrée sur un petit autel d’une église de campagne, l’Eucharistie est toujours célébrée, en un sens, sur l’autel du monde ». L’Eucharistie unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute la création. » (LS 236).
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