
Édito
“Plus que tout autre chose, veille sur ton cœur…”
L’automne a étendu son manteau d’or et d’ambre. Déjà percent les prémices hivernales. Les arbres se sont dépouillés de leurs feuilles, envolées, enfouies, non sans avoir fait jaillir un dernier flamboiement de couleurs. Ne produisant plus de cellules de bois, l’arbre économise son énergie. Il se prépare à l’arrivée de l’hiver, il fait redescendre la sève aux profondeurs racinaires. Tel un message de « sœur notre mère la Terre », reconnaissons ici une invitation au recueillement : consacrer un temps à retrouver nos racines, celles de notre intériorité, les fondements de ce que nous sommes, ce que je suis, en relation avec Celui qui Est (Ex 3, 14 ; Jn 8, 28). Descendre en notre cœur, ce lieu invisible où se renouvellent nos forces. Notamment celles mobilisées par nos actions collectives, paroissiales et associatives. Notre cœur est l’épicentre des diverses branches de notre insertion dans le monde. Dès lors, une des premières urgences « écologiques » ne réside-t-elle pas dans la constance à prendre le temps de dire « stop » et de se recueillir en Celui qui nous appelle à « veiller sans cesse » (Lc 21, 36) ? Non certes, pour se replier sur soi et cultiver le déni du réel ambiant. Tout au contraire. L’arbre ne retire la sève de ses branches que pour mieux affronter l’hiver, la déployer au printemps et porter du fruit. Se recueillir, méditer, prier est vital pour faire face aux enjeux existentiels de notre monde en bascule civilisationnelle.
Perdurer dans nos luttes, persévérer dans nos implications écocitoyennes, présuppose de prendre soin de notre vie intérieure sans laquelle s’essouffle notre vie dans l’Esprit de charité et s’étiole notre relation à Celui que Jésus nous révèle être « notre Père ». Plus que tout, chérissons notre alliance avec lui. Car sans lui, tel le sarment détaché du cep, nous ne pouvons rien faire (Jn 15, 5). De notre attention à notre vie intérieure dépend la qualité de nos engagements. Sinon comment éviter le « burn out » professionnel ou militant, notre déconnexion avec le réel, celui du vivant naturel et de toute la création, sa saisonnalité et ses rythmes, l’écoute contemplative de ses appels et l’émerveillement face à la beauté de son mystère ? A l’heure de la captation de l’attention sous emprise numérique et d’une vie sous « écran total », le « fugitisme » est un des fléaux culturels les plus pernicieux : fuir le réel, en s’enlisant dans un univers généré par l’hypnose des écrans dont les fruits toxiques ne font qu’accroître notre « désenterrestrement », notre esseulement « hors sol ».
Face aux immenses défis de notre siècle, à l’approche d’événements majeurs – pensons, bien sûr, à la Cop 30 à Belém, du 10 au 21 novembre -, n’oublions pas la recommandation du livre des Proverbes : « Plus que toute autre chose, veille sur ton cœur. C’est de lui que jaillissent les sources de la vie. » (Prov 4, 23) et celles du discernement dans le vaste champ de nos engagements.
William Clapier
Retour sur événement …
La Marche “Climat Justice Libertés” du 28 septembre
Le 28 septembre à Paris, nous étions une cinquantaine dans le cortège interreligieux de la “marche des Résistances”. Notre présence était soulignée par notre belle et large banderole : » pour l’amour du ciel, laissez les fossiles en terre ». Mais le message le plus fort était celui affiché sur les 3 grands panneaux que nous portions haut et qui appelaient à la paix et au dialogue en arborant les signes des grandes religions. Plusieurs personnes sont venues nous interroger et échanger avec nous, interpellées par ce message de paix et la présence rare de ces symboles côte à côte.
La Conférence “SUSCITER l’espérance” (Raising Hope) du 1er au 3 octobre à Rome
Susciter l’espérance était le but que s’était fixé le Mouvement Laudato Si, dans cette période de morosité écologique. Cette conférence fut exceptionnelle à plus d’un titre : 1000 personnes dont le pape Léon, la ministre de l’environnement brésilien Marina Silva, l’ancien gouverneur de Californie (où il a porté une lutte active contre la pollution et en faveur des énergies renouvelables) A. Schwartzenegger, le président de la conférence épiscopale brésilienne Mgr Stengler et tant d’autres personnes remarquables des 5 continents, personnalités mais aussi responsables associatifs, ecclésiaux, communautaires, politiques, scientifiques. Chacun portait avec lui des dizaines, centaines, milliers d’autres personnes.
Une session a par exemple réuni les directeurs·ices de divers mouvements européens comme Caritas Europe, JESC (Jésuites), Justice & Paix en dialogue avec une chercheuse de l’Université St Mary (GB) qui a évalué l’avancement de Laudato Si dans 20 pays européens et le cardinal Nemet, évêque de Belgrade et vice-président du Conseil des Conférences Episcopales Européennes (CCEE).
Parmi les nombreux moments marquants, on se souviendra de la bénédiction de l’iceberg rapporté du Groenland (une partie de l’eau ainsi bénite a été apportée en France), geste à la fois classique et fort, une rivière d’espoir a coulé parmi la foule émue et enthousiaste. L’autre moment fort a été les groupes de travail où les participants ont partagé à trois reprises leurs initiatives, inspirations et engagements dans les Contributions Déterminées par les Peuples, destinés à la COP : le collège des Bernardins y côtoyait des missionnaires africains d’un petit village, l’Emmanuel côtoyait Lutte & contemplation ou Négawatt.
Comme toujours beaucoup s’est construit et découvert dans les couloirs avec un ébahissement : la force et la détermination du Sud Global, dont l’appel conjoint d’évêques de 3 continents pour la COP, donnent foi en l’Eglise de demain !
La soirée du 10 octobre – Paix avec la Création proposé à Paris par CUT et Eglise Verte Espérance
Nous étions une trentaine dans la magnifique église parisienne de Notre-Dame d’Espérance à partager un temps spirituel et d’expérience sensible autour du thème “PAIX AVEC LA CRÉATION”. Voici deux témoignages :
« Le 10 octobre j’ai participé, à l’église ND d’Espérance, à une soirée » Paix avec la Création » organisée par CUT et l’équipe église verte de cette paroisse. J’y ai découvert un parcours de méditation et de prière pour rentrer plus en phase avec notre terre et associer nos sentiments envers elle à la prière, tant avec des sentiments négatifs comme la peine, la douleur, que positifs comme la gratitude. Le parcours se déroulait dans tout l’espace de l’église ce qui a permis de mêler nos sens. J’essayerai de refaire cette démarche sensible » (V.Z.)
« La soirée Paix avec la création a été un moment intense où je me suis senti encore plus concerné par les atteintes des hommes envers notre mère-terre. La séance des larmes ma particulièrement touché par l’empathie exprimée envers la souffrance de la nature. Heureusement, la dernière étape de la soirée était plus optimiste car tournée vers l’avenir et notre engagement dans des actions concrètes pour changer les choses. » (J.P.J.)
Témoignage d’Olivier Tempéreau : « Construire ensemble… “un petit bout de demain” »
Dans le monde chrétien-écolo, j’ai longtemps peiné à trouver ma place : j’ai essayé d’aider l’Eglise à bouger, mais, même si je me réjouis que d’autres s’y attèlent, ce n’est pas une tâche pour moi. Je vois celles et ceux qui lancent pétitions et campagnes contre tel ou tel gros pollueur mais là non plus, bien que ça me semble important, je ne m’y retrouve pas …
Non, moi, souvent, je m’assois devant les Ecritures, et je m’émeus de l’écart abyssal entre la radicalité de l’appel évangélique et la réalité de ma vie. Les folies de notre temps trouvent un terreau tellement fertile en moi qu’elles m’envahissent, souvent à l’insu de ma conscience. En un mot : comme tout un chacun, au quotidien, pour simplement être, je nuis à la Création.
Qu’une grâce pleuve du Ciel et m’amène à la vertu, j’en serais ravi, mais le temps est au sec ! Alors, sûrement qu’il est bon que j’aille au-devant d’elle.
Ça fait du temps que la piste communautaire m’attire : ensemble, bien plus facilement que seul, on peut créer une culture qui, sans effort individuel héroïque, ouvre un espace à un mode de vie simplifié et unifié. Mais là encore, pour différentes raisons, la grâce de m’y lancer ne m’a pas encore été donnée.
Alors, l’an dernier, j’ai proposé une soirée à Lutte&Contemplation, que j’ai amenée ainsi : souvent, quand on lutte, on regarde ensemble vers un point extérieur (Total ou autre). C’est très bien, mais ne pourrait-on pas aussi s’accompagner dans nos transformations intérieures… Filer un coup de main à la grâce, quoi ! Et il ne s’agit pas d’une coquetterie de la vertu : d’une part, sans canot adapté, le pire dans lequel notre monde plonge pourrait bien nous engloutir les uns après les autres et d’autre part, des militants qui ont fondé de solides structures de vie peuvent déployer durablement des énergies plus grandes (y’a qu’à voir l’implication des compagnons de l’Arche au Larzac, ou encore celle des communautés ecclésiales de base de la théologie de la libération).
La soirée a bien marché, et un petit groupe en est sorti : la Margelle (Nantes). Ensemble, éclairés par des textes inspirants, on explore nos limites et on nourrit nos élans dans différents domaines : qu’est-ce qui me donne sécurité, comment ma classe sociale m’impacte, quel est mon rapport à la propriété privée ou aux structures conventionnelles de l’amour, quid de la non-violence, qu’est-ce que je peux dire de la vulnérabilité etc. On s’appelle « Margelle », parce qu’on part des marges-en-nous-mêmes : ce sont elles qui appellent le changement.
Au sens classique du mot militant, on n’est pas bien productifs ; mais moi je crois bien qu’on construit un petit bout de demain !
Oliver Tempéreau
Hommage à Janine Prost, pionnière des chrétiens engagés en écologie
Une grande dame, par la taille, l’autorité, le courage. Qui l’a rencontrée une fois s’en souvient sûrement.
J’ai connu Janine au sein de la Communauté Vie chrétienne (CVX, groupes de laïcs d’obédience ignacienne) où elle était active depuis plusieurs décennies. En 2006, elle a co-fondé dans ce réseau de milliers de catholiques qui se rencontrent essentiellement par “communautés de voisinage”, un “atelier Chrétiens Coresponsables de la Création”. Un atelier, c’est un groupe qui s’étend sur toute la France réunissant des personnes intéressées et/ou actives sur un sujet. Durant plusieurs années, l’atelier animait une rencontre annuelle de deux jours, un échange d’expériences et d’initiatives. Lorsque je l’ai rencontrée, en janvier 2011, ce fut une inoubliable occasion de découvrir d’autres chrétiens vivant l’appel évangélique à « cultiver et garder le jardin » – principe ignacien de la « vie simple » – et à vivre ce que François appellera plus tard, une « conversion écologique ». La rencontre avait lieu à Troyes en présence de Mgr Stenger, ancien président de Pax Christi et l’évêque de référence sur l’écologie à l’époque. Je soupçonne le Seigneur d’avoir mis volontairement ce groupe sur ma route, 10 jours après le décès de mon père, seul parent encore en vie.
Depuis cette rencontre, Janine a été fidèle dans les luttes et les audaces, accueillant chez elle un sous-groupe autoproclamé de cet atelier : CCC Paris, qui ressentait le besoin d’un engagement plus intense, plus de proximité et portant plus fort la voix des laïcs engagés pour la Création par un projet accompagnant les catholiques désireux de mener une “vie simple” (à l’exemple de la belle initiative britannique Livesimply), par un rappel des attentes des laïcs aux évêques, au moment où ceux-ci se penchaient sur le sujet, par un renouvellement de la campagne de “Noël autrement” (coordonnée par Pax Christi), avec en 2013, un succès inégalé malgré la radicalité de la proposition : pas de cadeaux ou alors faits main, immatériels ou d’activités communautaires, proposition de menu de Noël végétarien…
Cela a parfois valu à Janine quelques remontrances mais elle a tenu bon. A plus de 80 ans, alors qu’elle a demandé le baptême à 20 ans, pendant la guerre, a élevé 4 enfants, a vécu des coups durs dans sa vie personnelle, elle en avait vu d’autres et n’allait pas se laisser démonter. Intéressante cette liberté de nos aîné.e.s, au-delà d’un certain âge…
Pour Chrétiens Unis pour la Terre, elle a été une marraine accueillante et bienveillante (quoique sévère avec l’orthographe de “Maison commune”) tant que ses forces le lui ont permis.
Laudato Si per sora Janine !
Laura
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